Quand la vie est trop courte pour râler ou s'acheter des fleurs demain, j'invite le lecteur à s'émerveiller des petites choses. Dans les sillons creusés par l'inattendu ou le hasard, je sème les graines d'un regard humain, parfois mordant, et compose régulièrement un bouquet de rencontres ou d'échanges piquants, insolites, simples.

dimanche

Louis et ses larcins (1)


Cliché pris récemment à Bergerac (24), rue de la Résistance


Louis et moi sommes amis depuis belle lurette. C’est au cours d’un dîner à Bordeaux qu’il m’a confié sa dernière "prouesse", son dernier larcin. Lui et moi vivions en colocation à Belleville. Certains matins, j’ironisais :

- Aujourd’hui, tu vas à la chasse ou à la pêche ?

Nous tirions le diable par la queue. Lui, davantage. C’est en volant, en remplissant les bacs du réfrigérateur qu’il payait sa part de loyer. Le Monoprix d’en bas a longtemps fait les frais de sa dextérité. On lui aurait donné le bon dieu sans confession.

- Je dis toujours « pardon » et « merci mes anges. »

- Andouille ! Tu feras moins le malin quand on te prendra la main dans le sac.

Sans se départir de son sourire, Louis avait répondu avec un aplomb déconcertant :

- C’est déjà arrivé trois fois.

Quand il allait "à la chasse", il rapportait dans sa gibecière des morceaux de choix : tournedos, chateaubriands, entrecôtes, que nous accompagnions du vin le plus cher du magasin – un Pessac-Léognan.

- Ça n’est pas parce qu’on est fauchés qu’on doit bouffer de la merde, bougonnait-il.

Quand un jour, il est revenu avec un sapin de Noël de deux mètres de haut, j’en étais bouche bée. Inutile de te préciser, cher lecteur, qu’il ne l’avait pas acheté. Louis avait un principe auquel je crois il n’a jamais dérogé :

- Je ne vole que dans les grandes surfaces.

Les yeux ont failli me sortir des orbites quand un soir d’octobre il est revenu avec le coffre de la voiture plein de victuailles.

- J’ai fait les courses pour le mois.

Sans me prévenir, il avait tout bonnement circulé dans le magasin avec son caddie et l’avait rempli de tout ce dont nous avions besoin, et même plus… Sans passer par la caisse !

Les années ont filé. Nos chemins ont divergé. Mais il continue de voler. Sans scrupule.
Autour d’un succulent tajine, Louis me raconte sa colère de la veille qu’il a calmée en volant. A la gare de Bordeaux, il souhaitait surfer sur le net. Ni le temps ni l’envie de chercher une brasserie proposant gracieusement le wi-fi. Il décide alors d’acheter une session auprès de son opérateur. Il reçoit par SMS l’identifiant et le mot de passe. Malgré de nombreuses tentatives, ça ne fonctionne pas. Il a passé une demi-heure avec des conseillers qui l’ont promené de service en service, jusqu’à ce qu’il leur raccroche au nez.
Louis m’explique :

- Tu vois, je n’allais pas m’éparpiller en courriers de réclamation qui n’auraient d’ailleurs jamais abouti. Alors je me suis assis sur les 10€ facturés par SFR et je suis allé "me servir" ailleurs.

Au Relay, Louis a fait son marché et jeté son dévolu sur des magazines et une boisson (au total 20€ environ).

- Mais… tu as largement dépassé le montant.

- Toi et tes comptes d’apothicaire…

Fin du dîner. Nous payons l’addition. Louis laisse à la serveuse un généreux pourboire.

 

Mon second forfait !

Réédition du billet paru en 2008 sur http://ohlebeaujour.blogspot.com/, mon précédent blog.

 

9 commentaires:

  1. Bravo! Ca c'est de l'anarchie , de la vraie... qui fait flotter le drapeau noir sur les marmites et dans le frigo:o))

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  2. J'adore les robins des bois des temps modernes...

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  3. Merde mais Louis a raison "c'est pas parce qu'on est fauché qu'on doit bouffer de la merde"

    Jamais j'y avais pensé.

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  4. comme on dit chez moi, voler des voleurs ce n ' est pas voler!

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  5. Un beau personnage digne d'un roman !

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  6. Almanachronique : Je n’avais pas vu les choses ainsi :)
    [Nicolas]: A vrai dire, peu de gens ont profité de ses largesses. Mais c’est déjà ça.
    Zette : Louis avait toujours le dernier mot et parvenait toujours à justifier ses larcins.
    Orfeenix : Tout est relatif. Il s’amusait aussi à déjeuner en ville à l’œil chez les restaurateurs qu’il trouvait très peu aimables. Inutile de te dire qu’il a laissé quelques ardoises.
    Raquel : La logique du porte-monnaie vide, d’un appétit vorace et d’une névrose importune.
    Anne : J’y avais songé. Flemme, vraies-fausses bonnes excuses, procrastination etc. Merci.

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  7. PascalR : Je sais, c'est bien pour ça que je le publie de nouveau.

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