Je m’ennuie dans mon boulot. Je m’attache à y remédier. Chaque jour. Différemment. J’ai ma technique : l’observation, la contemplation, la rêverie, l’échange avec mes pairs.
Le quotidien d’un réceptionniste d’hôtel est pourtant riche. Entre la répétition de mêmes tâches, jour après jour, la prise de consignes auprès des collègues, les rapports à imprimer, les réservations à vérifier (qui paie quoi, qui préfère quoi, qui souhaite quoi), l’accueil physique ou téléphonique, les demandes banales, extraordinaires ou ridicules, la consultations des sites de vente en ligne, l’administratif, les procédures, les emails, les factures proforma, les visites prévues ou impromptues, les check-in les check-out, les clients à satisfaire ou à déloger, et j’en passe des vertes et des pas piquées des hannetons, se loge mon ennui précité.
La période calme augmente substantiellement la propension à bayer aux corneilles.
Je joue. Je joue à Guess My Age, non pas à la télé mais à la réception. À chaque arrivée de clients, les formalités, la photocopie du passeport, je glisse un regard appuyé vers ma collègue pour lui proposer de scruter Monsieur et Madame ou Monsieur et Monsieur pendant que je les accueille. Lorsque ces derniers ont pris possession de leurs appartements, je demande à ma voisine Catalina de deviner leur âge. Et généralement elle se trompe, en leur faveur.
Il nous est également demandé de renseigner le cardex (nom, prénom, adresse postale et électronique, téléphone, date de naissance) dans le logiciel maison. Comme, une fois sur deux, l’adresse ressemble plus à des pattes de mouches qu’à de l’écriture humaine, je consulte Google pour m’aider au déchiffrage. Je profite de l’occasion pour copier-coller l’adresse dans Maps qui me conduit ensuite sur Street View où je contemple ébaubi le biotope de mes hôtes. Aujourd’hui je parcours la tête dans les nuages une vaste avenue bordée d’arbres à Orlando, Floride.
Il m’arrive également de googliser mes clients et d’apprendre qu’un tel a gravi le K2 (deuxième plus haut sommet de la planète), qu’un autre travaille dans la tour voisine de Donald Trump sur la 5e Avenue à New-York.
Je dois dare-dare remballer mes voyages immobiles car nous recevons une délégation présidentielle. Tout le monde est sur le pont et le petit doigt sur la couture du pantalon. Je serre la pince au chef d’État et bredouille une salutation dans sa langue. Le directeur, la responsable régionale des ventes, les réceptionnistes accompagnent la douzaine d’éminences à leurs chambres. Les bagages viennent ensuite. Les étiquettes ne correspondent pas aux propriétaires des valises – peut-être est-ce une mesure de sécurité, que sais-je. Un accompagnateur nous aide à identifier et répartir les bagages par étage. Dans la précipitation, une valise a échappé à notre vigilance. Elle est entre les mains de l’équipier, un collègue que nous avons "emprunté" à la gouvernante. L’appréhension de la boulette nous saisit soudain. Les ascenseurs étant accaparés, je monte les marches quatre à quatre à la recherche de notre ami équipier que l’occupant de la chambre 627 vient d’éconduire. Trop tard. Elle n’est pas au client, me dit-il en me désignant une valise orpheline. Tu as donc parlé au Président, dis-je, laconique.
Une assistante nous demande de réserver une table Chez Francis, « brasserie de luxe » parisienne à dix minutes en taxi. Et de lui commander une soupe à l’oignon. Qui n’est pas au menu. Nous insistons auprès de la brasserie, qui n’en a cure. Nous nous obstinons en précisant le caractère présidentiel de la visite et essuyons une deuxième douche glacée d’indifférence. Dans un éclair de lucidité, Clarisse nous apprend que le restaurant d’à côté peut nous la préparer. Quatre appels téléphoniques plus tard, la soupe à l’oignon est remise à la délégation qui aura à charge de véhiculer le chef d’État… et sa soupe à l’oignon jusqu’à la fameuse « brasserie de luxe » (qui a brutalement perdu son prestige) où nos amis finiront la soirée.
Julie, notre responsable régionale des ventes, une lueur facétieuse dans le regard, me chuchote : voilà une journée que tu pourras raconter dans ton livre.
À quelle heure est-elle programmée, ton infolettre ? Le jour même de la publication ou le lendemain ? Là, tout de suite, je n'ai rien reçu (juste vu ton tweet).
RépondreSupprimerDans la nuit. Ce sera donc pour les lecteurs du dimanche matin :)
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SupprimerMais mais , tel la NSA tu recherches des informations sur tes clients ?
RépondreSupprimerJe suis curieux de nature :-)
SupprimerBen v'oui quoi, c'est pour les faire chanter plus tard et avoir des aides pour acheter le Negresco ! Faut tout lui dire ! Pfff… ^^
RépondreSupprimer(Réponse à #Politeeks)
Ahaha j'ai des ressorts un peu plus médiocres pour faire fortune :) je joue au Loto ^^
SupprimerRien reçu pour le moment ;)
RépondreSupprimerElle était bonne la soupe ?
On aime bien quand tu t'ennuies finalement ...
Je saurai demain (car je reprends demain) s'il a aimé sa soupe ou s'il en a parlé et si la vaisselle nous a été retournée... pour qu'on la rende au resto qui a bien voulu nous la préparer.
SupprimerIl est d'où ton amateur d'oignons ? gratinée la soupe ? avec des petits croutons à l'ail? sinon, c'est pas du jeu...j'adore quand tu t'ennuie
RépondreSupprimerbises ma poule
Il vient d'Amérique du Sud :) Quant à la soupe, nous avons demandé à ce que le fromage et les croûtons soient disposés à part, car entre le moment où elle nous a été livrée et celui où il l'a eue sur sa table, il a dû se passer une petite heure.
SupprimerBisous ma poule.
Haha excellent ce post. La soupe à l'oignon objet de ton tracas si elle a été dégustée tiède a du lui rester sur l'estomac à ton client.. la valise égarée a retrouvé son propriétaire, tu as voyagé gratos sur Google, tu as ironisé sur l'âge d'un arrivant, avec ta collègue. Les journées doivent passer vite dans ton hôtel. J'en conclus que ton job aussi ennuyeux qu'il soit, te permet d'agrémenter ton blog de notes fort agréables à lire. Merci de nous partager un quotidien très agréable à lire. 👍👍
RépondreSupprimerMerci pour ta visite ^^ aujourd'hui entre deux clients j'observe les passants via les caméras de surveillance.
Supprimerje reçois bien ton mail et m'empresse de commenter tes journées pas plus ennuyeuses que les miennes .... quant aux délégations officielles je te raconterai une ou deux anecdotes à notre prochaine rencontre ��
RépondreSupprimerBizbiz mon Laurent, j'adore tes billets.
Coucou you. J'attends donc tes anecdotes avec gourmandise. Bibises.
SupprimerQue d'aventures. Merci et bon matin
RépondreSupprimerMerci de ta visite :) bon dimanche.
SupprimerRien reçu... et moi je joue à "Guess où il bosse". A dix minutes de Francis, ce n'est donc ni le Plaza, ni le Prince de Galles, ni le George V... trop près ces trois là... élargissons le périmètre...
RépondreSupprimerEt pour rehausser un peu le prestige de Francis, j'ai le souvenir qu'il y a..... long soupir.... une mienne petite chienne que je logeais habituellement sous ma chaise et sur un plaid (en cachemire tout de même!)y reçut une très jolie assiette emballée de papier alu et remplie de friandises carnées... Ni elle ni moi n'avions rien demandé... Il faut dire que la chienne en question était un Cavalier King Charles, race émouvante et encore rare en ces temps anciens... J'adore tes chroniques Laurent... encore et surtout, ne les égare pas . pour plus tard quand tu auras retrouvé ta liberté, tu en feras un volume, j'espère...
Rien reçu ? Envoie-moi un email à desfraisesetdelatendresse@gmail.com que je vérifie ça.
SupprimerGuess où je bosse (dans le 16e).
Chez Francis sont donc plus aimables avec nos amies les bêtes qu'avec nos présidents et ça n'est pas pour me déplaire.
Quant au volume, j'y pense et puis j'oublie j'y réfléchis :-)
Merci pour ta fidélité. Prenons un café avant que je ne quitte la capitale...
Merci pour ta fidélité :)
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