Pages

samedi

Roger a dit bisous



Depuis quelques semaines, nous recevons à l'hôtel des appels anonymes. A la voix, aux gloussements à peine dissimulés qui font irruption dans la communication, je devine des ados oisifs, pas très au point sur leur fausse demande de réservation. Les appels reçus sont masqués. Las, je suggère à mon interlocuteur de s'acheter une vie ou de jouer à chat perché avec ses copains. Parfois je les mets en attente. Le temps qu'ils se lassent et raccrochent.

Et puis il y a Roger. Appelons-le Roger. Au sein de l'équipe, tout le monde a eu son lot de noms d'oiseaux, de menaces, de ta-mère-ceci ou ta-mère-cela.

Mon collègue Aurellien a le sens de la repartie que je n'ai pas. Il assaisonne l'animal de répliques aussi cruelles qu'inutiles car Roger ne se lasse pas : son répertoire d'insultes est inépuisable.

Mais le malheureux n'a pas pensé à masquer son numéro.

Je fomente une petite revanche. Sur Leboncoin, je mijote une fausse petite annonce et vends un iPhone pas cher. Je prépare une description aux petits oignons, ajoute la mention "pas sérieux s'abstenir". Sur AdopteUnMec et Badoo, je fabrique un profil aguicheur. Chaque fois, je donne son 06 en pâture. Nous inscrivons également son numéro pour tous les démarchages téléphoniques possibles et imaginables. Roger reçoit bientôt, on l'espère, on se bidonne d'avance, l'appel de sociétés de courtage, d'assurances, de banques, de voyantes, d'épavistes. Rira bien qui rira le dernier.

L'histoire prend brusquement un tournant étonnant.

Ce soir, Roger appelle. Aurellien décroche et active le haut-parleur. S'ensuit sous mes yeux ébahis une conversation aussi banale qu'hallucinante. Ils parlent de la pluie et du beau temps, de la cérémonie d'hommage rendu à Johnny.
- Je te laisse, j'ai du monde, conclut mon collègue.
- Je peux appeler demain ?
- Vers 7h ?
- Ok, bisous, bye.

Pendant mon absence, Aurellien me dit avoir réfléchi à la question, inquiet de jouer comme moi le jeu du harceleur, de répondre à l'agressivité par davantage d'agressivité. Il a pris Roger entre quatre oreilles, lui a expliqué pourquoi ses appels étaient méchamment inutiles, lui faisaient perdre son temps et son humeur. La lumière a jailli et Roger a dit bisous. Je me pince encore pour croire à cet improbable miracle : un pont jeté entre deux parties a priori irréconciliables.

Comme quoi tout n'est pas perdu.

13 commentaires:

  1. Je suis fan! Tellement joli moment de communication. Cet homme qui était en manque de lien social, d'humanité qui trouve une oreille malgré ses provocations.
    (Mais a t'il parlé des appels nombreux qu'il a du avoir?😂)
    Bisous

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Dingue hein. Il prend contact avec ses pairs en commençant par les insulter copieusement :)
      Je n'ai pas parlé à Roger. Il n'y a qu'Aurellien qui soit dans ses petits papiers.
      Bisous itou.

      Supprimer
  2. Christine - Le Théâtre Côté Coeur9 décembre 2017 à 22:23

    Roger avait besoin d'écoute et de reconnaissance, d'un peu de considération et d'attention. Auréllien a eu l'instinct d'être cela, mais je comprends le désir de mesures de rétorsion. Auréllien devrait tenter la même chose avec un certain locataire d'une certaine maison blanche. Qui sait, rien n'est jamais perdu !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Je crains qu'avec Mr Trompe ce soit peine perdue. Quoique. On n'est jamais à l'abri de surprises !

      Supprimer
  3. Réponses
    1. J'ai connu un gars, abandonné par son entourage, ne jurer que par les théories du complot et se braquer dès que tu avançais le moindre début d'argument. La solitude, certes, mais pas uniquement.

      Supprimer
  4. Trop mignon. Hashtag Je suis Roger ;)))

    Bisous ♥

    RépondreSupprimer
  5. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer
  6. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer
  7. Merci pour ce rire du jour ! Encore une belle histoire de mon conteur préféré ! Une belle fin d'année à toi Laurent
    Sophie (des Grigris)

    RépondreSupprimer

Un commentaire, ce peut être un coucou, une amabilité, un point de vue divergent, un trait d'esprit, un signe de votre passage.

Pour celles et ceux qui n'osent pas (je ne mords pas) ou n'y parviennent pas, c'est tout simple :

1) Tapotez votre bonjour dans le formulaire de saisie ci-dessous
2) Sous Choisir une identité, cochez Nom/URL
3) Saisissez votre nom (ou pseudonyme ou si vous êtes timide le nom de votre cousine) après l'intitulé Nom
4) L'URL ne désigne pas l'Uto-Rhino-Laryngologie mais bien le lien d'un blog ou de n'importe quoi d'autre que vous jugerez bon d'accrocher à votre identité, la page Wikipedia de Sheila par exemple ; ou rien.
5) Cliquez sur Publier commentaire

Et le tour est joué. Elle est pas belle, la vie ?