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jeudi

L'amie, mon homme, la rombière et moi ou le musée décrépit



La journée sans portable. L'amie Stéphanie, mon homme, la rombière et moi. Le géranium fatigué par l'hiver. Mireille Mathieu. Le cousin germain de l'édile. Le musée décrépit. Une voix d'humaine. Six ronds de flan. La journée mondiale du rire. Alexandre Vialatte.1



Il y a la journée internationale de la gentillesse, celle des amis, la journée sans portable, la journée de la saucisse Morteau et la semaine des quatre jeudis. C'est un dimanche que mon homme et moi avons célébré nos premières vingt-quatre heures sans internet. Nous voulions nous rendre compte à quel point nous étions devenus dépendants de la Chose. J'ai depuis désactivé toutes les notifications de toutes les applications sur le téléphone et la tablette —pollution sonore et mentale qui déconcentre et empêche le cours "normal" de mon existence. Par normal, j'entends : pas dérangé par un bip signalant un like, un message, un spam, un RT, une interaction formidable ou quelconque; autant de stimuli qui tour à tour gonflent l'égo, interrompent la lecture d'un roman, la contemplation du géranium abîmé par l'hiver, disloquent le silence. Attention, je ne dis pas qu'Internet est néfaste —la Toile est aussi un extraordinaire facilitateur de rencontres et de savoirs, je dis que l'usage que j'en fais est excessif.

Dimanche donc. Pas de téléphone, pas de télévision, pas de Netflix, pas de "Ok Google ! Quel âge a Mireille Mathieu ou bien qui a inventé l'eau chaude ?"

Nous optons d'abord pour une visite culturelle. Ce sera le Musée A. que la rumeur dit fermé depuis des lustres mais on dit aussi qu'il est ouvert. Notre chemin nous fait régulièrement longer la bâtisse et, les volets ouverts, la lumière aux fenêtres, nous suggèrent en effet que le lieu est accessible au public. Internet ne nous dit pas autre chose, horaires d'ouverture à l'appui.

Nous voilà, Stéphanie, mon homme et moi, tournant autour du pâté d'immeubles, cherchant un accès et pestant finalement contre notre naïveté. Notre amie qui, ne participant pas véritablement à notre déconnexion du Web, appelle ledit musée. Pas de répondeur, pas de message formaté, pas de voix électronique, pas de "le correspondant ou le numéro que vous cherchez à joindre est aux abonnés absents". Mais une voix d'humaine qui accueille notre requête :

— Mais enfin, Madame, dit la voix, le musée est fermé depuis Mathusalem !

Nous restons comme deux ronds de flan. Trois personnes, trois paires d'yeux = six ronds de flan. Tant devant notre bêtise —insister pour visiter le seul musée fermé de la ville—, que la situation. Il y a une dame dans l'édifice aux volets fermés ce dimanche, qui répond au téléphone, passe le balai sur les traces de pas laissées par les non-visiteurs.

On a ri ! Mais on a ri! Qu'est-ce qu'on a ri !

Deux semaines passent.

À la faveur d'une rencontre fortuite, mon homme parle à une dame qui, parce qu'ils sympathisent, lui raconte son histoire. Il était une fois le Musée B, prestigieux complexe de la ville, confié au cousin germain de l'indétrônable élu. On éjecte notre dame —appelons-la Alphonsine— et on lui propose un nouveau poste. Elle fait ses cartons et laisse sa place au cousin germain —appelons-le Gérard—, prend les rênes du Musée A et attend la prodigieuse inauguration, le lancement des travaux de rénovation. Les années passent. Elle attend toujours. C'est un crève-cœur. Les œuvres d'art prennent la poussière. Alphonsine prend racine et attend la retraite.

— Il y aura bientôt autant de poussière sur moi que sur les tableaux que renferme ce musée.
Mon homme finit par lui confier notre mésaventure et lâche :
— Nous sommes tombés sur une vieille rombière qui nous a dit : Mais enfin, Madame, le musée est fermé depuis Mathusalem.
Alphonsine rit. Qu'est-ce qu'elle rit2 !
— La vieille rombière, c'est moi.



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1. J'ai emprunté l'introduction par le menu à Alexandre Vialatte. C'est ainsi que le maître à penser de Pierre Desproges, le premier traducteur français de Franz Kafka, démarrait ses chroniques. Je ne saurais trop vous conseiller la lecture, relecture ou découverte de ses Chroniques de La Montagne (Ed. Robert Laffont, Collection Bouquins), un trésor de la littérature française où l'auteur contemple de son œil à la fois émerveillé et désabusé l'étourdissant manège de ses contemporains.
* L'Express : Alexandre Vialatte, entre espièglerie et gravité
* France Inter : Les chroniques d'Alexandre Vialatte, en compagnie de François Morel

2. La journée mondiale du rire existe. Sans blague. Le 6 mai, rions tous à gorge déployée.

10 commentaires:

  1. Avec un peu de chance, la vielle rombière vous fera une visite privée un de ces (ses) jours ! Et, ainsi, Allah sera grand !

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  3. et voilà encore un joli billet mon Lolo!
    bisous ma poule ( et pour ton homme aussi )

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    1. Merci :-)
      Bisous transmis à l'instant et bisous en retour :-*

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  5. Première lecture de ce blog auquel je me suis récemment abonné par l'entremise de Monsieur Fraises (c'est ainsi qu'il se nomme sur Twitter). Grand plaisir à lire un texte construit, drôle, vivant... et très bien écrit ! Ouf, kessafédubien (LoL)

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