Vue depuis le métro me conduisant le matin au boulot. Paris. |
Chers et honorables Line & Bruno,
Permettez-moi d'à-peu-près copier-coller ici le mail que je vous ai envoyé récemment. À peu près parce que je vais élargir le champ de gentillesses que nous nous sommes adressées. J'espère que vous avez fait un bon voyage jusque dans votre belle ville de Montréal. Votre proposition sincère de jouer aux guides chez vous m'a beaucoup touché et je la garde dans un coin de ma tête et de mes projets. C'était un réel plaisir de vous rencontrer et de vous livrer mes quelques connaissances de Paris.
Et pour poursuivre brièvement sur la discussion que j'ai eue avec Line, entre deux clients pressés, ça n'est pas systématiquement que les gens sont réceptifs à mon accueil. Un sourire de ma part ne reçoit pas forcément un sourire en retour, mais qu'importe. D'ailleurs, qu'ils passent un bon séjour dans "mon" hôtel est mon seul réconfort et mon job. Si en plus, comme vous, ils me le rendent en gentillesse, en chaleur humaine, c'est un beau, un appréciable bonus. J'espère que vous ne m'en voudrez pas d'avoir rendu public ce message. Si vous avez eu le temps de parcourir ce blog, vous comprendrez pourquoi notre échange y a sa place.
Je ne vous ai pas raconté...
Vous vous doutez bien que la vie est loin d'être rose malgré le sourire et la bonne humeur que je m'efforce de toujours afficher et partager. Nous avons en ce moment un monsieur qui attend des nouvelles de son épouse. Elle, lui et leurs enfants étaient venus à Paris pour bien autre chose que ce qui les a violemment secoués. Victime d'un AVC, l'épouse est dans le coma depuis maintenant deux semaines et pour un moment encore. À l'hôtel, nous tâchons d'alléger la peine du père en papotant, en le forçant à pratiquer son français - il est australien. Aujourd'hui, il a répondu en français dans le texte Couci-couça au Comment allez-vous Monsieur M. ? que lui a lancé, affable, ma directrice.
Dimanche, nous avons eu un mini-drame à l'hôtel. Fin de journée, nous n'avions ni femme de chambre, ni équipier, juste ma directrice passant par là. Alors qu'elle appelait les secours pour un accident domestique - un client s'était ouvert le crâne en se relevant sous la fenêtre ouverte de sa chambre. Plus de peur que de mal, les premiers secours rapidement sur les lieux l'ont soigné dans leur ambulance. Et votre serviteur, armé de gants en latex, d'un seau rempli d'eau chaude, d'une éponge et d'un produit nettoyant, s'est amusé à effacer les projections de sang qu'avait laissées la victime sur les murs, sur les portes d'autres chambres d'autres clients, d'un bout à l'autre du couloir. Ni vu ni connu, pendant que ma directrice prenait les commandes de la réception.
Une rencontre comme la nôtre, Line, Bruno, sont pour moi de jolis petits cadeaux et compensent la relative dureté de mes journées. Deux clientes, doux-dingue mélange entre Les Craquantes et AbFab, aussi insupportables qu'attendrissantes ont promis de m'inviter au restaurant à leur retour de croisière je ne sais où. Quel restaurant ? Elles veulent garder le mystère et me l'offrir pour l'accueil que je leur ai réservé. Veronica, une cliente prenant des cours de pâtisseries dans le quartier, nous gratifie tous les jours de gâteaux et tartes faits maison à l'école. Non, non, c'est pour vous, dit-elle à chaque fois. Si je goûte à tout ce que je fais, je vais devenir grosse.
Ces exemples de générosité compensent par exemple l'éprouvant épisode de lundi où je me suis fait copieusement insulter par un client hystérique.
Pour achever ce billet - et ce message que vous n'avez pas reçu tant il s'est dilaté sur la page blanche de ce blog - ... pour terminer sur une note joyeuse, lundi, un couple âgé m'invite à admirer les feux d'artifice tirés de la Tour Eiffel depuis le balcon de leur chambre d'hôtel, au 7e étage. Je décline poliment l'invitation et pars me mêler à la foule pour un spectacle extraordinaire. Line, Bruno, imaginez plusieurs centaines de milliers de personnes chantant Imagine de John Lennon sur mille feux colorés jaillissant de la Tour Eiffel... C'était ma-gique ! Et ce garçon de 8 ou 10 ans qui dit à son père : Papa ! c'est le plus beau feu d'artifice que j'ai vu de toute ma vie ! Cette nuit-là, je n'avais pas à mes côtés une manche amie sur laquelle tirer pour m'exclamer à mon tour, du haut de mes 41 ans : c'est le plus beau feu d'artifice que j'ai vu de toute ma vie.
En attendant de vous lire, je vous envoie des becs de Paris,
Laurent
Très joli billet. Même émotion lors du feu d'artifice du 14 juillet, le plus beau et émouvant que j'aie jamais vu, soutenu par des pièces de musique sublimes : la Pavane de Gabriel Fauré tandis que la Tour Eiffel devenait bleu horizon sous le crépitement des feux qui évoquaient la mitraille ... Requiem ... Imagine ... Les feux ployant en mimosas évoquant ceux de Guillaume Apollinaire : " Si je mourais là bas, sur le front de l'armée, tu pleurerais un jour ô Lou ma bien aimée. Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt, un obus éclatant sur le front de l'armée, un bel obus semblable aux mimosas en fleurs. Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace, couvrirait de mon sang le monde tout entier, la mer, les monts, les vals et l'étoile qui passe, les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace, comme font les fruits d'or autour de Baratier (...)"
RépondreSupprimerJe n'ai pu retenir mes larmes, d'autant qu'à l'occasion du décès de mon père, ma mère m'a donné quelques objets qu'il conservait précieusement à vie (qu'importe, il a remis ça 20 ans plus tard, ayant été arrêté comme résistant, le 20 juillet 1942). Quand tu lis les carnets, tu restes pétrifié : de l'horreur absolue vécue avec autant d'humilité et de force ... et de sa plume incroyablement simple, vive, juste ...
Ce 14 juillet sera pour moi inoubliable ... sauf quand je perdrai la tête, comme tout le monde.
Tu n'avais pas de manche amie à tirer ce soir là, mais plein d'amis parmi lesquels je me range pour partager ton émotion, même après coup.
Bizoo
Un bout de phrase au sauté : après précieusement : les carnets écrits par mon grand père lorsqu'il était au Front et dont il est revenu traumatisé à vie (qu'importe ...
RépondreSupprimerTrès beau billet, beaucoup d'émotion en te lisant. Profite de ces moments doux au milieu de la rudesse quotidienne.
RépondreSupprimerQuand j'étais jeune diplômée cherchant du boulot, j'avais envisagé de postuler dans un hôtel pour faire un peu comme toi... quand je lis ici et là tes anecdotes, je me dis que c'est exactement pour tout ça que cela m'attirait... j'ai tenté une fois sans succès puis j'ai trouvé autre chose mais la vie d'un hôtel est une expérience à part humainement parlant sans compter la part de romanesque et de mystère qu'il peut y avoir... Bises
RépondreSupprimer