Quand la vie est trop courte pour râler ou s'acheter des fleurs demain, j'invite le lecteur à s'émerveiller des petites choses. Dans les sillons creusés par l'inattendu ou le hasard, je sème les graines d'un regard humain, parfois mordant, et compose régulièrement un bouquet de rencontres ou d'échanges piquants, insolites, simples.

vendredi

Arrête de râler, c’est contagieux !

Je travaillais dans un château en Dordogne (). Je vous donne l'adresse, y a prescription, va.

Petit retour en arrière. 

J’ai parfois honni le riche ou l’imbécile, le bourgeois ou le sous-chef graveleux. J’étais probablement sous l’influence de ce collègue soupe au lait pour qui le Château ne trouvait jamais grâce à ces yeux. Rien n’allait. Tout partait à vau-l'eau. Ils verraient ce qu’ils verraient lorsqu’il les quitterait. Jamais il n’avait vu ça. La photocopieuse méritait bien un coup de pied, et il ne se privait pas pour le lui asséner. Je finissais par lui dire, me surprenant à rouspéter à mon tour contre les toiles d’araignée ornant tentures, appliques, et recoins du Château : « Arrête de râler, c’est contagieux. » J’avais vite compris ce qui l’eût contenté: un hôtel sans clients pour l’emmerder.

Une semaine plus tôt, un client VIP souhaitait utiliser une de nos salles fitness. Il avait d’ailleurs choisi le Château pour ses salles fitness. Un énervé des machines à faire souffler comme un bœuf et gonfler les biscotos. Mais après tout, chacun sa marotte. Il fallait lui en donner pour son argent. Je m’enquérais donc du passe général et lui ouvrais sa caverne d’Ali-Baba.

Donnant ensuite les consignes à l’ami soupe au lait – laisser à ce client l’accès libre à son dada – je le vois bouillir. « Non mais oh ! on leur donne de mauvaises habitudes… » Les bras m’en sont tombés. Je vous épargne la suite du dialogue où je lui explique grosso-modo que sans client, il pourrait jouer aux boules tout son soûl. Et sans salaire.

- Oh là là, y a du monde demain. Peuvent pas rester chez eux ? Fait chier.

Mais ce qui le met véritablement hors-de-lui, c’est le client anglophone qui ne parle pas français. Dans un élan de mauvaise foi assez truculent, il vitupère : « Ils ne font aucun effort. Jamais vu ça. Tu vas dans un pays, tu parles la langue, c’est la moindre des choses. » J’aimerais bien l’y voir, avec son pull mal ajusté, sa cravate peinant à atteindre sa ceinture. Partirait-il à Java qu’il parlerait le javanais ?

Un soir de juillet, un orage surprit le Château et ses résidents. La collègue réceptionniste courait avec ses seaux pour contenir bon an mal an les fuites ici et là ; elle répondait à la panique des clients par le sourire et une épatante efficacité. Elle avait terminé son service depuis une heure déjà, mais au diable l’avarice. Plus de wi-fi, plus d’Internet, plus de téléphone, plus de standard. Deux clients britanniques se présentent à la réception s’alarmant de ne pouvoir appeler leur famille au pays.

Joignant le geste à la parole, l’ami soupe au lait rétorque : « standard. téléphone. BOOM. » et tourne les talons, dévoilant des chaussettes blanches sous un pantalon de costume aux ourlets partis en grève illimitée.

Standard. téléphone. BOOM.




Illustration: William-Adolphe Bouguereau – La Soupe (1865)

15 commentaires:

  1. Travailler avec un mec pareil, c'est une sinécure ! fallait qu'il rentre à la sécu , il a loupé sa vocation
    bises

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    1. Nos élites produisent quelques sinécures, et pas qu'un peu. Le Sénat, le Conseil Économique Social et Environnemental, pour n'en citer que deux :-)
      Bisous itou.

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    2. Pourquoi à la sécu ??? ;)

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    3. J'sais pas. Boutfil a dû avoir une expérience difficile avec des préposés @ la sécu :-)

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    1. Ahahahaha (private joke) - hier nous avons eu le plaisir d'accueillir un arrivage d'aigris :)

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  3. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

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  4. ahlala, les collègues râleurs, largement plus insupportables que les clients râleurs, parce que les clients finissent par se barrer...
    Un hôtel sans client par contre, ça me fait penser à un livre d'un petit auteur, Shining, je sais pas si tu connais :p Mieux vaut des clients qu'un collègue qui pète un plomb complet !

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    1. En dehors de son côté bougon, c'était une personne tout à fait sympathique, mais sans les clients.
      Ça me fait penser que je n'ai pas lu Stephen King depuis vingt ou trente ans :-)

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    2. Et bien je suis dans la lecture (qui traîne certes mais un peu débordée en ce moment) de Dr Sleep, la vie de l'enfant de Shining, et c'est pour ça que l'idée d'un hôtel vide de ses clients m'y a fait penser direct ;)

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  5. Christine - Le théâtre côté coeur2 avril 2017 à 09:54

    Les râleurs et les râleuses, quelle plaie quand ce sont les collègues. J'en ai une tripotée autour de moi. Je résiste tant bien que mal au rique de contagion mais elles sont épuisantes. Heureusement il y a les petits billets de Laurent qui distribuent leur dose de sourires

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    1. Ah tu vois, c'est difficile de résister à la contagion.
      Merci pour ton compliment :-) donne-leur à lire ce billet et attends leur réaction...

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