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Je lis Murakami. |
À dix minutes à pied de l'appartement doté de l'affreuse vue ci-dessus, je retire un courrier recommandé au bureau de Poste de Chutes-Lavie. Une dame chouine. Le distributeur de billets à l'intérieur est hors-service, elle refuse d'aller retirer ses sous à l'extérieur, elle aboie après la préposée qui, placide, s'excuse. Pour ma part, j'ai choisi de ne pas râler parce que mon courrier n'avait pas été acheminé vers le bureau habituel et plus proche. J'attends mon tour, je dis bonjour à la préposée. Je dis merci et au revoir dans un sourire, qu'elle me rend. Puis je me dirige vers le supermarché d'à côté. Avant de franchir le seuil du magasin, je me campe sous le mimosa, je ferme les yeux et respire le parfum de l'arbre en fleur. Je trouve ensuite un petit chemin bordé d'herbes folles et d'iris bleus dont j'ignorais l'existence. En contrebas, des maisons individuelles au cœur de la ville. Au loin, on voit la mer, la côte bleue après L'Estaque, les viaducs à flanc de collines. Je contemple la vue.
Je fais mes courses.
Puis j'attends le bus à l'arrêt Paulette.
Une vieille dame s'assied à mes côtés. Elle entame la conversation :
— Ça fait du bien, le soleil.
— Oui.
— Si on attendait le bus de l'autre côté, on serait à l'ombre.
— ...
Elle me raconte en quelques minutes des morceaux de sa vie partagée entre Tunis et Marseille. 50 ans de colonies, 50 ans de Marseille, dit-elle, avec un sourire édenté, en un formidable raccourci de 95 ans d'existence. Je me penche souvent pour distinguer ce qu'elle dit car elle parle d'une petite voix couverte par la circulation. Le bus atteint alors l'arrêt Paulette et la dame s'agrippe à mon bras. Je l'aide à monter puis s'asseoir. Elle poursuit son récit, me demande si son bonnet de laine marron n'a pas trop aplati sa coiffure. Elle parle du monde comme il va :
— Il ne faut pas dire des méchancetés sur les gens. Il faut se mordre la langue plutôt que de dire du mal. Le mal, il sort de votre bouche et il abîme le monde. Il faut être bienveillant, et se mordre la langue quand on veut dire du mal, répète-t-elle en fixant sur moi ses yeux d'un bleu clair qui ont vu quatre-vingt-quinze ans de gens, d'histoires et de choses.
Quelle différence entre la femme qui chouine et celle qui a vu 95 ans de vie !
RépondreSupprimerOn a envie d'embrasser cette dernière et toi aussi pour te remercier d'avoir partager ce beau moment.
Amitiés bruxelloises, cher Laurent !
Ben
Râler ou pas râler, that is the question. Moi-même un peu râleur, il faut l'avouer, j'apprends à tourner ma langue 7 fois dans ma bouche avant de l'ouvrir. Si la dame à la Poste n'avait pas chouiné, si elle ne m'avait pas retardé, si je m'étais pressé et n'avais pas exploré le petit chemin bordé d'herbes folles, je n'aurais pas croisé cette autre dame à l'arrêt Paulette et n'aurais pas écrit ce billet.
SupprimerBises de Marseille, Laurent
Merci pour ces rencontres toujours magnifiques dont tu as le secret..... Sans aucun doute car tu sais regarder et écouter ! Sans aucun doute car tu aimes les autres et la vie. Avec amitié. Sophie (des Grigris)
RépondreSupprimerMerci Sophie pour ta fidélité (historique*) à ce blog. Je sais aimer les autres et la vie, comme tu le dis si gentiment. Surtout, en ces temps agités, j'apprends à ne pas détester mon prochain, et c'est un sacré défi.
SupprimerBaisers de Marseille.
*10 ans !
Dire du mal — faire sa langue de vipère, cancaner, tailler des costards, etc. — c'est comme le sucre ou le chocolat : c'est pas bon... mais c'est tellement bon ^_^
RépondreSupprimerCertes, je n'en disconviens pas ^_^ J'apprends néanmoins à moins faire ma LDP car les mots ont un sens et un pouvoir. Dire d'un con qu'il est con ou très très con est libérateur. Prenons Ducon-Aignan par exemple, le traiter de con ou de super con ne le fera ni devenir plus humain ou intelligent. Je pense aussi à cette fameuse "autrice feel-good" dont nous nous moquons régulièrement : nos moqueries ne la feront probablement jamais corriger son français ou son style, elle sera toujours convaincue de son talent, à lire son oeuvre ridicule devant la caméra. Ça me fait penser aux Précieuses Ridicules de Molière...
SupprimerBref, le médiocre a sa place en ce monde, et disant cela, je vais paraître prétentieux. M'en bats le coquillard avec une phalange de campagnol.
Je note que tout en argumentant — à juste titre — qu'il ne faut pas languedeputiser, tu ne peux (et je m'inclus dans le lot avec délices et pour ma part sans une once de sentiment de culpabilité) t'empêcher de languedeputiser ^_^
SupprimerJe note le verbe languedeputiser pour plus tard :-)
SupprimerJ'ai souvent pensé à ton billet "Le forcené ou le candide et ses Chocobons". Celui de ce 8 mars, délicieux comme toujours (si si), fait plaisir à lire. On dirait que tu t'en es sorti indemne de ce passage à la Canebière, sans remous psy. Sans doute tu n'es pas prêt d'oublier, même les petits détails, mais le souvenir n'est pas le traumatisme.
RépondreSupprimerAinsi il y a un arrêt Paulette ... Amusant. Ça me rappelle que près de Liège existe une rue Tout-va-bien. Je me suis toujours demandé comment on rédige les avis nécrologiques.
Bien d'accord avec Eric, qui m'a appris l'expression "tailler des costards (merci), pour reconnaître que médire, oui, c'est bon. Et la calomnie a permis à Rossini d'écrire un air jouissif : La calunnia è un venticello. "Rendre la vertu aimable, le vice odieux, le ridicule saillant", on y a déjà réfléchi.
Comme Ben, j'ai envie d'embrasser ta nouvelle copine.
Comme lui, je t'envoie des amitiés bruxelloises ; oui Bruxelles se mêle de tout, sans épargner les bruxellois, fort europhiles.
Pipo.
Bonjour Pipo :) A propos de Rossini et des méchancetés évoquées par la très vieille dame, il faut avoir du talent, beaucoup de talent pour créer une oeuvre, voire un chef d'oeuvre à partir d'une matière a priori sombre et néfaste. Nombre de nos contemporains haineux en sont totalement dénués. Oui, j'ai vite mis de côté la pétarade de la Canebière, pas besoin de psy. J'en ai usés, tu sais, des psys. Je crois avoir les ressources pour surmonter pas mal d'épreuves, pourvu que ça dure (comme le répétait inlassablement Jean-Yves Lafesse).
SupprimerPour conclure, les Bruxellois peuvent se mêler de donner leur avis sur ce blog tant qu'ils le souhaitent, tant qu'ils sont pourvus, comme toi et Ben, d'un regard bienveillant.
La bise !
Laurent
Elle est sympa ta petite vieille, dans 20 ans j'aurai son âge , si j'y arrive, je pourrai aussi raconter ma vie dans le bus , mais pour l'instant, je reconnais que je râle souvent
RépondreSupprimerbisous ma poule à partager bien sûr
Coucou ma poule, je suis curieux de lire ce que deviendra ton blog dans 20 ans :-) ou en fait non, pas pressé d'attendre ce moment. Quand j'entends des jeunes dire "vivement la retraite" je hurle presque : "ça va pas bien la tête ? pressés d'être vieux et décrépits ?" Tiens, je vais aller lire ta dernière râlerie...
SupprimerJ'ai partagé tes bisous, bien entendu, et t'en revoie une tripotée.
Tu fais toujours de belles rencontres ;)
RépondreSupprimerBonne journée Bises
Pas toujours. Mais j'écris plutôt sur les belles que les atroces ;) (sauf pour mon billet précédent)
SupprimerBon week-end + bises itou.
Ces belles rencontres font toujours du beaume au coeur et à l'âme.
RépondreSupprimerBelle journée à toi
Joli lapsus que je m'empresse de noter. Du Beaumes de Venise à l'âme.
SupprimerMerci de ta visite et bon week-end :)
Comme dans un portrait de Norman Rockwell ...
RépondreSupprimerSi j'avais le 100e de son talent. J'aurais aimé savoir dessiner. Merci pour ta visite + RT + commentaire 😘
SupprimerEn tous cas tu dessines très bien la vie par les mots ! Toujours là pour rendre service et porter les esprits à s'ouvrir, Lolo ! Bonne semaine...
RépondreSupprimerMerci Marie Unknown :) de ta petite visite et ton gentil commentaire. Belle semaine à toi également :) et rendez-vous sur Aworded.
Supprimer2 mamies bien différentes, celle qui râle et la presque centenaire qui prend la vie avec philosophie. J'ai fait mon choix 😉 Je retiendrai de ta virée à la poste, ton petit chemin aux herbes folles et aux iris, mes fleurs printanières préférées. J'en ai plein mon jardin et dans quelques jours, quelques semaines, leur violet flamboyant va me faire comprendre que l'hiver est fini. Bonne journée 😘😍
RépondreSupprimerBeaucoup d'iris par ici, ça me rappelle les iris sauvages que je contemplais lors de mes promenades à la campagne dans mon Périgord natal. Bonne journée à toi également 😘
SupprimerBonjour tout le monde ;)
RépondreSupprimerJe me répète ce genre de formule quand je suis tentée à la méchanceté gratuite et inutile, ne serait-ce même qu'en pensées. Celle-ci est parfaite, mon nouveau mantra, merci ;))
Sylvie
Bonjour Sylvie. Je réponds tardivement (presque un an plus tard, on est dans l'ordre du très très très très très tardivement en langage 2020) à ton commentaire. Je relis à cette occasion le billet et me dis qu'effectivement, la conclusion de la dame devrait nous inspirer plus souvent, et systématiquement. La bise. Laurent
SupprimerUn coucou d'Albert Dieu...En juin 2019.
RépondreSupprimerEt un coucou de février 2020. Pfffffiou ce que le temps passe vite.
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