Quand la vie est trop courte pour râler ou s'acheter des fleurs demain, j'invite le lecteur à s'émerveiller des petites choses. Dans les sillons creusés par l'inattendu ou le hasard, je sème les graines d'un regard humain, parfois mordant, et compose régulièrement un bouquet de rencontres ou d'échanges piquants, insolites, simples.

vendredi

La très vieille dame à l'arrêt Paulette

J'aime cette photo prise en bord de mer, Calanque de Samena à Marseille (aucun rapport avec le billet 😎)



À dix minutes à pied de l'appartement, je retire un courrier recommandé au bureau de Poste de Chutes-Lavie. Une dame chouine. Le distributeur de billets à l'intérieur est hors-service, elle refuse d'aller retirer ses sous à l'extérieur, elle aboie après la préposée qui, placide, s'excuse. Pour ma part, j'ai choisi de ne pas râler parce que mon courrier n'avait pas été acheminé vers le bureau habituel et plus proche. J'attends mon tour, je dis bonjour à la préposée. Je dis merci et au revoir dans un sourire, qu'elle me rend. Puis je me dirige vers le supermarché d'à côté. Avant de franchir le seuil du magasin, je me campe sous le mimosa, je ferme les yeux et respire le parfum de l'arbre en fleur. Je trouve ensuite un petit chemin bordé d'herbes folles et d'iris bleus dont j'ignorais l'existence. En contrebas, des maisons individuelles au cœur de la ville. Au loin, on voit la mer, la côte bleue après L'Estaque, les viaducs à flanc de collines. Je contemple la vue.

Je fais mes courses.

Puis j'attends le bus à l'arrêt Paulette.

Une vieille dame s'assied à mes côtés. Elle entame la conversation :

— Ça fait du bien, le soleil.
— Oui.
— Si on attendait le bus de l'autre côté, on serait à l'ombre.
— ...

Elle me raconte en quelques minutes des morceaux de sa vie partagée entre Tunis et Marseille. 50 ans de colonies, 50 ans de Marseille, dit-elle, avec un sourire édenté, en un formidable raccourci de 95 ans d'existence. Je me penche souvent pour distinguer ce qu'elle dit car elle parle d'une petite voix couverte par la circulation. Le bus atteint alors l'arrêt Paulette et la dame s'agrippe à mon bras. Je l'aide à monter puis s'asseoir. Elle poursuit son récit, me demande si son bonnet de laine marron n'a pas trop aplati sa coiffure. Elle parle du monde comme il va :

— Il ne faut pas dire des méchancetés sur les gens. Il faut se mordre la langue plutôt que de dire du mal. Le mal, il sort de votre bouche et il abîme le monde. Il faut être bienveillant, et se mordre la langue quand on veut dire du mal, répète-t-elle en fixant sur moi ses yeux d'un bleu clair qui ont vu quatre-vingt-quinze ans de gens, d'histoires et de choses.


26 commentaires:

  1. Quelle différence entre la femme qui chouine et celle qui a vu 95 ans de vie !
    On a envie d'embrasser cette dernière et toi aussi pour te remercier d'avoir partager ce beau moment.
    Amitiés bruxelloises, cher Laurent !
    Ben

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    1. Râler ou pas râler, that is the question. Moi-même un peu râleur, il faut l'avouer, j'apprends à tourner ma langue 7 fois dans ma bouche avant de l'ouvrir. Si la dame à la Poste n'avait pas chouiné, si elle ne m'avait pas retardé, si je m'étais pressé et n'avais pas exploré le petit chemin bordé d'herbes folles, je n'aurais pas croisé cette autre dame à l'arrêt Paulette et n'aurais pas écrit ce billet.
      Bises de Marseille, Laurent

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  2. Merci pour ces rencontres toujours magnifiques dont tu as le secret..... Sans aucun doute car tu sais regarder et écouter ! Sans aucun doute car tu aimes les autres et la vie. Avec amitié. Sophie (des Grigris)

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    1. Merci Sophie pour ta fidélité (historique*) à ce blog. Je sais aimer les autres et la vie, comme tu le dis si gentiment. Surtout, en ces temps agités, j'apprends à ne pas détester mon prochain, et c'est un sacré défi.
      Baisers de Marseille.
      *10 ans !

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  5. Elle est sympa ta petite vieille, dans 20 ans j'aurai son âge , si j'y arrive, je pourrai aussi raconter ma vie dans le bus , mais pour l'instant, je reconnais que je râle souvent
    bisous ma poule à partager bien sûr

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    1. Coucou ma poule, je suis curieux de lire ce que deviendra ton blog dans 20 ans :-) ou en fait non, pas pressé d'attendre ce moment. Quand j'entends des jeunes dire "vivement la retraite" je hurle presque : "ça va pas bien la tête ? pressés d'être vieux et décrépits ?" Tiens, je vais aller lire ta dernière râlerie...
      J'ai partagé tes bisous, bien entendu, et t'en revoie une tripotée.

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  6. Tu fais toujours de belles rencontres ;)
    Bonne journée Bises

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    1. Pas toujours. Mais j'écris plutôt sur les belles que les atroces ;) (sauf pour mon billet précédent)
      Bon week-end + bises itou.

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  7. Christine - Le Théâtre Côté Coeur9 mars 2019 à 12:32

    Ces belles rencontres font toujours du beaume au coeur et à l'âme.
    Belle journée à toi

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    1. Joli lapsus que je m'empresse de noter. Du Beaumes de Venise à l'âme.
      Merci de ta visite et bon week-end :)

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  8. Comme dans un portrait de Norman Rockwell ...

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    1. Si j'avais le 100e de son talent. J'aurais aimé savoir dessiner. Merci pour ta visite + RT + commentaire 😘

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  9. En tous cas tu dessines très bien la vie par les mots ! Toujours là pour rendre service et porter les esprits à s'ouvrir, Lolo ! Bonne semaine...

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    1. Merci Marie Unknown :) de ta petite visite et ton gentil commentaire. Belle semaine à toi également :) et rendez-vous sur Aworded.

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  10. 2 mamies bien différentes, celle qui râle et la presque centenaire qui prend la vie avec philosophie. J'ai fait mon choix 😉 Je retiendrai de ta virée à la poste, ton petit chemin aux herbes folles et aux iris, mes fleurs printanières préférées. J'en ai plein mon jardin et dans quelques jours, quelques semaines, leur violet flamboyant va me faire comprendre que l'hiver est fini. Bonne journée 😘😍

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    1. Beaucoup d'iris par ici, ça me rappelle les iris sauvages que je contemplais lors de mes promenades à la campagne dans mon Périgord natal. Bonne journée à toi également 😘

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  11. Bonjour tout le monde ;)

    Je me répète ce genre de formule quand je suis tentée à la méchanceté gratuite et inutile, ne serait-ce même qu'en pensées. Celle-ci est parfaite, mon nouveau mantra, merci ;))

    Sylvie

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    1. Bonjour Sylvie. Je réponds tardivement (presque un an plus tard, on est dans l'ordre du très très très très très tardivement en langage 2020) à ton commentaire. Je relis à cette occasion le billet et me dis qu'effectivement, la conclusion de la dame devrait nous inspirer plus souvent, et systématiquement. La bise. Laurent

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  12. Un coucou d'Albert Dieu...En juin 2019.

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    1. Et un coucou de février 2020. Pfffffiou ce que le temps passe vite.

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