Quand la vie est trop courte pour râler ou s'acheter des fleurs demain, j'invite le lecteur à s'émerveiller des petites choses. Dans les sillons creusés par l'inattendu ou le hasard, je sème les graines d'un regard humain, parfois mordant, et compose régulièrement un bouquet de rencontres ou d'échanges piquants, insolites, simples.

vendredi

Le forcené ou le candide et ses Chocobons



Imaginez un galet lancé sur la surface plane d'un étang, les ricochets, les remous. Les remous à la surface et l'eau agitée en profondeur. Le galet, c'est ce forcené qui sème la panique sur son passage rue de Rome puis sur la Canebière à Marseille. Les ricochets, les remous, ce sont les conséquences de ses actes, les gens qu'il croise, trois hommes de 23, 27 et 35 ans à qui il assène un coup de poignard à la tête, au cou, à la nuque, les témoins qu'il épargne et qui se retrouvent seuls avec leur effroi, les questions des enfants qu'ils tiennent d'une main tremblante. L'eau agitée, ce sont les sirènes hurlantes des ambulances du bataillon des marins-pompiers, c'est aussi la rumeur qui se répand dans le quartier, dans la ville, dans la presse locale, sur les réseaux sociaux. Les gens qui disent j'y étais ou j'aurais pu y être.

Inconscient du drame qui se déroule à deux pas, je traverse la Canebière armé de mes achats. Une paire de chaussures de randonnée flambant neuves pour une prochaine virée dans les Calanques et un énorme paquet de Chocobons pour agrémenter un cadeau d'anniversaire à préparer un peu plus tard.

Je vois piler sur moi, ou du moins j'ai l'impression qu'il pile sur moi tant il est proche, le véhicule banalisé de la BAC qui tente d'arrêter la course folle du forcené. Une ou deux secondes qui me paraissent une éternité. Où je suis incapable de bouger, incapable d'aider cette pauvre dame qui, dans la panique, empêtrée dans ses sacs de courses, a chuté. Quand retentissent les huit coups de feu, je n'ai toujours pas le réflexe de chercher l'abri dans le porche de l'immeuble derrière moi. Hébété, je scrute le corps sans vie de l'assaillant et une arme de poing gisant à ses pieds.

Repoussé par les forces de l'ordre, en nombre, qui tentent de contenir la foule curieuse, je marche tel un automate et rentre chez moi. Je ne sais pas quoi faire avec tout ça.

Je digère lentement la violence inouïe du monde qui nous entoure.

Armé de mes chocolats, de mon indéfectible besoin de croire en l'humain, je poursuis un chemin prudent où l'optimisme frise l'utopie. Je suis en vie et je dis aux gens que j'aime que je les aime.

24 commentaires:

  1. Quelle frayeur qui me rappelle le 17 septembre 1986..la panique rue de Rennes, mon amie et moi même déboussolées au milieu de cris, pleurs qui font suite à la déflagration. Il te faudra oublier cette peur-panique qui viendra flirter dans les moments de ta vie ou tu seras plus fragile. C'est long, épuisant et stressant mais ça fini par s'estomper. Seul les claquements de portes, les pétards, par moment te feront sursauter et te rappeler ce triste jour.
    Je pense à toi prends du repos et fais toi chouchouter, rien de mieux pour chasser ce moment pénible.
    Je t'embrasse 💕💋❤️

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    1. Merci pour ton témoignage et tes mots de réconfort, ta fidélité, ton amitié. Je t'embrasse également.

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  3. Si tout cela tourne un peu trop dans ta tête, tu peux aussi aller consulter un professionnel de l'écoute histoire de te libérer un peu de ce fardeau. Dans tous les cas, bon courage !

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    1. J'ai vécu quelques moments "compliqués" et j'ai toujours réussi à les digérer. Merci de ta visite et de tes conseils.

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  4. Ca n'arrive pas qu'aux autres, j'imagine effectivement que l'on peut être statufié sur place , j'ai été un jour dans le métro, bloqué le long d'un mur par un malfaisant qui m'a arraché le collier que je portais en m'étranglant à moitié, je suis restée sans réactions puis la colère m'a pris et je l'ai coursé jusque sur le quai où il s'était réfugié, les gens m'on aidée mais je n'ai pas pu rattraper le salopard, et c'est ce qui m'a le plus rendu furieuse de ne pas pouvoir le choper, de toute façon le collier était en toc, bien fait, mais je crois que c'est la colère qui m'a permis d'évacuer très vite le stress
    bisous ma poule, prends soin de toi et évite de croiser les cinglés

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    1. Tu m'avais raconté ta méchante aventure, je crois. Je vais m'armer de prudence et éviter de croiser les cinglés. S'ils pouvaient être identifiables à 100 mètres, ça m'arrangerait :-) Bisous à toi ma grande, et bisous à ton homme.

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  5. Merci pour ce partage. Un fardeau trop lourd pour un seul Humain. Je prends ma part, en espérant que cela te réconforte un peu. Je t’embrasse avec affection.

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    1. Merci Véro. Cela me réconforte, oui.
      Affectueusement itou,
      Laurent

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  7. la vache (meuuuh) je ne sais pas comment j'aurai réagi. J'avais beaucoup parlé (et pas que) avec le voisin ex-muslim qui était au café voltaire 45 secondes avant qu'un sous-homme ne se fasse exploser en novembre 2015 : il a mis des mois à ne plus avoir peur. J'espère que tu n'auras pas ces conséquences, et je sais que tu est très fort: la digestion lente de la violence est plus saine que de l'étoufer (ce qui n'est jamais certains). Dans cette histoire tu n'as rien à te reprocher, à part d'avoir été là au mauvais moment.

    Je t'envoie des gros bisous et des ondes magiques !

    Ah mince va falloir que je change ma tête de repris de justice pour commenter sur bloger ^^^

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    1. Je n'ai rien à me reprocher, comme tu le dis, mais je reproche au monde cette violence. Que faire, si ce n'est se protéger et protéger les siens. J'ai lu 2 ouvrages terriblement bouleversants sur l'après attentats de Paris en 2015 et mon petit traumatisme à côté, c'est pipi de chat :p
      Merci de ta visite et tes ondes magiques ^^
      À bientôt avec un nouvel avatar ?

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  8. La vie a des moments de non-sens qu'il faut pouvoir vivre...
    Accepter que tout cela n'a pas de sens est un chemin de patience.
    Je te souhaite une paisible patience pour pouvoir avancer et continuer, malgré cela, à voir et dire aussi les simples faits qui peuvent mettre de la joie au coeur.
    Je t'envoie toutes mes pensées de réconfort et te fais de gros bisous qui guérissent tout comme le croient les enfants...
    Ben

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    1. Accepter que tout cela n'ait pas de sens, c'est aussi accepter que sa vie propre n'en ait pas : je ne peux m'y résoudre. Je sais pourtant que la vie est absurde, ne tient à rien. Je m'efforce néanmoins d'y apporter un minuscule sens.
      Merci pour tes pensées.
      Amicalement,
      Laurent

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  9. Quand la haine et la violence touchent et font trembler le sensible , la vie humaine! J’aime la musique de vos mots, elle est unique, simple et accessible mais unique , elle me permet de retrouver le sensible au fond de moi.... qui s’est enfoui, apeuré par l’horreur

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    1. Merci Martine pour vos mots et votre visite. J'espère seulement ne pas avoir réveillé de mauvais souvenirs.

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  10. Bonsoir Laurent. Comme tu le dis dans une de tes réponses écrire, raconter ce qu'il t'est arrivé permet d'évacuer (un peu) l'horreur et la peur que tu as dû ressentir. Bonne soirée

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    1. Bonjour Écureuil bleu ! En tout cas, ça me conforte dans l'idée que la vie est trop courte pour s'acheter des fleurs demain. Courte, absurde, précieuse. Belle semaine à toi.

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  11. J'aime beaucoup l'image du galet, des ricochets. C'est à la fois précis, poétique, et efficace, l'image apparaît immédiatement dans notre esprit.
    J'espère que tu as trouvé du réconfort dans les bonbons, même s' ils n'étaient pas pour toi au départ.

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    1. J’ai voulu raconter, à ma façon, les répercussions sur tous les témoins. Le galet, les ricochets, les remous, m’ont paru la métaphore idéale. J’ai pu en parler, écrire, évacuer, passer à autre chose :) merci de ta visite et ton RT.

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  12. Alors là, je n'en reviens pas ! Je suis ravie que tu puisses nous écrire Lolo. J'ai buggé et dû relire plusieurs fois ton billet et même lire les commentaires pour accepter ces mots comme réels. Cela m'a fait la même impression lorsque je jetais un œil à la télé en 2001 sans le son et que j'ai cru à un mauvais film. Tu as sans doute eu la meilleure réaction possible puisque tu es là. On ne sait jamais comment on va réagir en cas de danger. Là tu sembles avoir été envahi par trop d'émotions en même temps qui t'ont je crois "un peu sorti de la réalité" pour mettre en œuvre ton instinct de survie. C'est bien, tu arrives déjà à relativiser. Continue de prendre le temps d'ECRIRE.
    Oui ta métaphore est géniale, je l'adore. C'est un peu comme si un raz de marée pouvait nous emporter à tout moment même si on le sait, on reste fidèle à nos idées positives, que tout ira pour le mieux. Et surtout, comme toi, on profite de chaque instant. Ce monde n'est-il pas fait de zones noires et zones blanches, ce n'est pas qu'un film. Certains semblent être né pour nous faire CH... et d'autres préfèrent se rendre la vie plus facile. L'accepter est pour moi aussi un long apprentissage et j'espère vivre encore longtemps pour atteindre cette sagesse un jour. En attendant, je continue mon boulot terrien et envoie des pensées positives au quotidien vers l'univers entier en souhaitant le mieux. Et j'ai l'impression que ce chemin est plus difficile mais c'est tellement bon de se sentir plus fort après, de continuer à vivre dans la joie. Accepter, ce n'est pas se résigner, c'est au contraire afficher sa force ! Je t'embrasse très fort.

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    1. Merci pour ton long et gentil commentaire. Et tu dis les choses très justement, j'étais un peu sorti de la réalité et j'y suis retourné brutalement. Oui, je relativise. J'accepte difficilement cette noirceur que tu évoques. Comment ne pas se laisser envahir, comment ne pas virer aigre, comment ne pas être défaitiste, comment ne pas se résigner, etc. Autant de questions que je me pose régulièrement.
      Je t'embrasse également bien fort. Merci pour tes mots.

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