Quand la vie est trop courte pour râler ou s'acheter des fleurs demain, j'invite le lecteur à s'émerveiller des petites choses. Dans les sillons creusés par l'inattendu ou le hasard, je sème les graines d'un regard humain, parfois mordant, et compose régulièrement un bouquet de rencontres ou d'échanges piquants, insolites, simples.

vendredi

Frédérique aux bras de Laurent et Laurent

The old lady from Bricklane © Chris Couderc - Flickr Licence Creative Commons

Marseille, début juillet. 34° à l'ombre mais un petit filet d'air nous rend la chaleur humide presque agréable. Laurent et moi traînons notre caddie de mémé jusqu'au supermarché de Chutes-Lavie pour y faire quelques courses. Pas très loin de l'arrêt Paulette où j'avais croisé la vieille dame de quatre-vingt-quinze ans qui se lamentait des méchancetés dites à tort et à travers, une autre habitante nous interpelle. Elle doit avoir dans les quatre-vingts ans. Les cheveux blond vénitien, la robe d'été qui lui colle à la peau tant elle a chaud, tant elle peine à atteindre le bout de la ruelle. Elle nous demande si nous pouvons l'aider à tirer son caddie jusqu'à l'angle de l'avenue, cinquante mètres plus haut. Nous adoptons son pas lent, nous papotons. De la canicule, des courses qu'elle pourrait se faire livrer à l'avenir, ce serait plus raisonnable quand même. Elle s'agrippe à mon bras.

— Vos chaussures ne sont pas très stables, dit Laurent.
— Oh, j'ai oublié de changer de chaussures, c'est vrai.
— La prochaine fois, descendez pieds nus, vous serez plus à l'aise, plaisante-t-il.
Elle rit.

L'angle de la rue était l'objet de sa demande. Nous nous enquérons de son domicile. Elle désigne l'immeuble situé cent mètres plus loin. Nous poursuivons.

— Je ne vous retarde pas, vous êtes sûrs ?
— Ne vous en faites pas, dis-je, nous avons le temps.

Une main accrochée au bras de chacun, elle nous dit vivre seule depuis que son frère cadet est mort d'un arrêt cardiaque, sous ses yeux, quatre mois plus tôt. Et sa gorge se noue sous l'émotion de la confidence.

— On ne sait pas ce qui est le plus lourd, votre chariot, ou vous, la taquine Laurent pour la faire rire, et ça marche.
— Nous, c'est Laurent et Laurent, dis-je, c'est facile, et vous ?
— Frédérique. Vous êtes des anges, merci de m'avoir accompagnée jusqu'en bas de chez moi.

Arrivés au pied de son immeuble, elle nous confie ses clés pour ouvrir le portillon puis la porte et, avec des baisers qui claquent, elle nous embrasse comme du bon pain. Sur le chemin du retour, nous échangeons à propos de la rencontre impromptue.

— Ça me serre le cœur. C'est comme pour les animaux, les chiens, les petits vieux abandonnés, j'ai envie de tous les adopter.
— À partir de quel âge tu les adoptes ?
— Euh, c'est au feeling.


-----
Pour lire le billet sur la très vieille dame qui se lamentait des méchancetés dites à tort et à travers, cliquez ici.

17 commentaires:

  1. �� Mes laurents ���� Une belle leçon pour chacun d'entre nous. ��

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Ma chère Awa, quel plaisir de te savoir lectrice de mes petites aventures marseillaises. Je pense que ça n'est une "leçon" pour personne si nous sommes nombreux (je l'espère) à manifester notre empathie, notre humanité.

      Supprimer
  2. Merci, Laurent, pour tant d'humanité. Te lire fait voir la vie belle...
    Je dois confier que j'en ai les larmes aux yeux de bonheur :)
    Des bisous bruxellois,
    Ben

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, la vie peut être belle si l'on s'accorde à se satisfaire de peu et d'humanité. Des bises du Sud.

      Supprimer
  3. Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

    RépondreSupprimer
  4. vous rendez la vie belle les garçons, si vous voulez adopter une p'tite vieille, pensez à moi ! gros bisous pour vous 2

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Tu n'es pas assez vieille :p Repasse dans 10 ans et on t'adoptera peut-être ^_-
      Douces vacances à toi et ta moitié sous les cieux aveyronnais. Gros bisous de Marseille !

      Supprimer
  5. 2 Laurent (s) plein de gentillesse pour une Frédérique qui dans sa profondes solitude se remémorera ce petit moment que vous lui avez adouci.Jolie lecture du matin qui me fait penser que tout n'est pas perdu, grâce à des petits gestes comme le vôtre, la prévenance existe encore. Bon week-end les amis 😘😍

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. On voit hélas souvent la saleté dans les rues et dans les âmes, elle est visible mais ne recouvre pas tout. Tout n'est pas perdu :-) Doux week-end à toi également 😘

      Supprimer
  6. Ces petits moments qui participe à un monde plus beau. Merci pour ce joli billet plein de tendresse 🙂

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. À nous de créer et multiplier ces petits moments. J'ai 2 ans de retard dans la réponse à ton commentaire o_O

      Supprimer
    2. Rien ne sert de courir, il faut partir à point 😁
      Cela prouve en tout cas notre fidélité mutuelle, c'est beau !

      Supprimer
  7. Bien contente d'être votre amie. Des bises

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. N'oublie pas que nous nous sommes adoptés mutuellement :-) Bises itou.

      Supprimer

Un commentaire, ce peut être un coucou, une amabilité, un point de vue divergent, un trait d'esprit, un signe de votre passage.

Pour celles et ceux qui n'osent pas (je ne mords pas) ou n'y parviennent pas, c'est tout simple :

1) Tapotez votre bonjour dans le formulaire de saisie ci-dessous
2) Sous Choisir une identité, cochez Nom/URL
3) Saisissez votre nom (ou pseudonyme ou si vous êtes timide le nom de votre cousine) après l'intitulé Nom
4) L'URL ne désigne pas l'Uto-Rhino-Laryngologie mais bien le lien d'un blog ou de n'importe quoi d'autre que vous jugerez bon d'accrocher à votre identité, la page Wikipedia de Sheila par exemple ; ou rien.
5) Cliquez sur Publier commentaire

Et le tour est joué. Elle est pas belle, la vie ?