Journal de bord confiné, J4. |
J'ai en poche l'attestation de déplacement dérogatoire datée et signée sur laquelle j'ai coché la case "achats de première nécessité", j'actionne avec le coude le bouton de l'ascenseur, avec la clé le bouton de la porte, je me contorsionne pour tirer avec le pied la porte de l'immeuble et me retrouve à l'air libre. Une coccinelle s'est posée sur le rabattant en toile cirée rouge du caddie qui arbore des fruits stressés qui crient "Poussez pas ! Vous êtes pressés ou quoi ?" L'insecte à pois, le pigeon qui trottine plus loin, les andouilles qui se moquent des consignes officielles, n'ont pas conscience du danger invisible qui bouleverse le monde.
Je traîne dans mon sillage le caddie à roulettes et croise peu de passants. Les grilles du Parc Longchamp sont closes. Le médecin généraliste d'à côté a condamné sa salle d'attente : "il est demandé aux patients de ne pas stationner dans le hall de l'immeuble mais à l'extérieur, sur le trottoir à l'air libre." Il précise qu'il ne dispose pas de masques pour ses patients. Au supermarché, les clients se toisent, se contournent et sursautent quand une toux sèche se fait entendre. À la caisse, une plaque transparente en plexiglas sépare l'employée du client qui peut postillonner à loisir.
De retour à la maison, je m'efforce de contenir les aboiements de la chienne, en vain. Sa joie de vivre inonde la visioconférence que tient mon homme en télétravail avec ses collègues. Je m'éclipse et range en silence les achats de première nécessité ou presque : des chips, des cacahuètes et des bières pour l'apéro de ce soir. Un apéro via webcam entre amis éparpillés, chacun chez soi, à Marseille, à Arcachon, à Biscarosse, pour conjurer nos solitudes, nos inquiétudes, pour lever un verre à l'amitié, penser aux personnels soignants, à tous ceux qui sont en première ligne, aux proches orphelins, aux morts sans cérémonie.
Dans la cour de l'immeuble, une fillette, casquette vissée sur la tête, joue à la corde à sauter. Son petit frère finit de dessiner à la craie une énorme tête de cochon qu'éclairent deux yeux bleus ronds comme des billes.
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Jour 1 → Le vieil homme qui promenait son chien avec des gants Mapa verts
Jour 2 → Cueillir des pâquerettes et fermer boutique
Jour 3 → Confiné et caféiné
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SupprimerAu supermarché, hier, les gens ne se regardaient pas mais plongeaient leurs yeux dans le chariot des autres, pour voir ce que chacun y avait mis... Triste, un peu.
RépondreSupprimerOui c'est triste. En indéfectible optimiste (pas neuneu non plus, car je n'ai pas beaucoup d'espoir concernant quelques nombreuse andouilles), je me dis qu'on sortira grandi de tout ça. Avec hélas, un million de fois hélas, des pertes, des deuils, des drames et des connards qui continueront de proliférer et de se reproduire. La bise :*
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